Les cendres grisâtres étaient sur le point de couvrir le feu écarlate qui, il y a quelques instants encore, faisait flamber les nuages. Cela faisait un long moment maintenant que le vieux chevalier contemplait, bien malgré lui, le ciel qui s'étendait à perte de vue.
Tout était si calme... Les seules traces du champ de bataille, où quelques minutes auparavant les cris de guerre résonnaient, étaient les cadavres silencieux jonchant la plaine.

Crac...
Le bruit soudain d'une branche calcinée qui se brise sous un pas retentit à quelques yalms de l'endroit où il se trouvait.
Un pilleur Gobelin peut-être, venu dépouiller les morts. Ces hommes-bêtes n'avaient aucune pitié. S'ils voulaient une bague, ils coupaient le doigt. S'ils trouvaient une épée, ils vérifiaient son fil sur le corps le plus proche. C'était la mort assurée s'il était découvert.
Le vieux chevalier serra les dents et tenta désespérément de forcer ses jambes à bouger, mais ses efforts furent vains.

Crac... crac... crac...
Le son se rapprochait petit à petit. Les pas ressemblaient à ceux d'un quadrupède. C'était donc un hell hound, prêt à se repaître des cadavres...
Le vieillard savait qu'il n'avait plus la force de la brandir, mais il porta néanmoins la main à la poignée de son épée. Une main qui semblait peser du plomb.

Crac...
Les pas s'arrêtèrent.
Brrrr... Brrrr...
Le son d'un souffle rauque.

En plissant les yeux, le chevalier discerna à travers la visière de son casque à moitié écrasé quatre pattes d'un noir de jais.
L'animal était immense !
Il tourna la tête dans un suprême effort et aperçu une crinière touffue violâtre et des prunelles brûlant d'un feu inextinguible. Au milieu du front, une corne arquée, tel un sabre oriental, se dressait vers le ciel.

Une corne... Les histoires racontées au coin du feu lorsqu'il était enfant lui revinrent en mémoire. Cet animal ressemblait aux licornes des légendes. Le vieux chevalier commença à réciter doucement un passage du livre saint pour exprimer sa reconnaissance à la Déesse, qui lui permettait de poser les yeux sur cet animal fantastique avant de mourir.

"Là-bas ! C'est Ixion !!"

Sa prière fut brusquement interrompue par le bruit métallique d'une troupe d'hommes en armure.

La licorne à la robe d'ébène qu'ils appelaient Ixion se cabra furieusement et poussa un hennissement aigu.
Crrrrac...
Le claquement violent du tonnerre retentit soudain, et des dizaines d'éclairs dansèrent autour de l'animal.

Quelqu'un cria.
"Attention ! C'est la Lance foudroyante !"

Une lumière éblouissante jaillit de la multitude de faisceaux électriques et les silhouettes des mercenaires se couvrant précipitamment les yeux des bras se détachèrent un instant dans la pénombre naissante. Pour le vieil homme qu'il était, ils semblaient tous si jeunes. Des visages que le temps n'avait pas encore marqués.

"Aaah ! Il s'enfuit !"
"Allez, suivons-le !"

Les jeunes gens s'apprêtaient à se lancer à la poursuite de l'ombre qui, vive comme l'éclair, venait de partir au galop, lorsqu'une jeune fille en robe blanche qui les suivait tourna la tête et s'écria : "Attendez ! Cet homme, il est vivant !"

Avant de perdre connaissance, le vieux chevalier murmura : "Ix... ion..."

Peu importait que ce fût ou pas une véritable licorne. C'était l'animal le plus extraordinaire qu'il ait jamais vu.